Un article de Pierre François

Yourte, roulotte ou caravane : lubie de bobos ou solution à la crise du logement ?

Depuis plusieurs années, le Réseau Brabançon pour le Droit au Logement milite pour l’accès de tous au logement en Brabant wallon et défend notamment l’habitat léger comme une solution valable et viable à la crise du logement. Un véritable changement dans l’art d’habiter qui nécessite une évolution des normes car ceux qui choisissent ce type de logement aujourd’hui – environ 15.000 wallons – vivent quasiment tous hors la loi.

Habitat léger, un nouvel art de vivre ?

Par « habitat léger », il faut entendre les habitats aisément démontables, transportables et/ou réversibles voire évolutifs. Ce sont les roulottes, caravanes, yourtes, chalets et autres constructions légères en bois, paille et terre crue, anciennes serres, « dômes », etc.

D’un point de vue écologique et environnemental, l’habitat léger se caractérise par :

  • des surfaces réduites, des matériaux locaux, de récupération et/ou écologiques, et d’une intégration dans le paysage ;
  • une faible emprise au sol qui permet une réduction de la consommation d’espace territorial, soit moins d’imperméabilisation des sols ;
  • un volume réduit permettant une économie en système de chauffage et matériaux isolants ;
  • la réversibilité et l’évolutivité en fonction des besoins ;
  • une consommation d’eau potable et d’énergie diminuée ;
  • la réduction des déchets (compost, toilettes sèches, phyto-épuration, etc.).

Une approche économique et sociologique

Qu’il s’agisse de jeunes qui aspirent à un mode d’habiter moins lourd financièrement et le refus de s’endetter sur plusieurs décennies, ou d’habitant « alternatifs » de chalets ou de caravanes résidentielles, tous sont unis dans cette même volonté de trouver une solution valable à la crise du logement. L’habitat léger comme solution économique doit aussi être reconnu comme un changement dans l’art d’habiter. Ce type d’habitat redynamise le lien social et le principe de solidarité.

« L’attrait pour les habitats légers et la vie au contact de la nature est grandissant, cela ne fait aucun doute. Beaucoup veulent avoir plus de temps pour vivre. C’est-à-dire travailler moins, à mi-temps, et avoir plus de temps pour s’investir dans ce qu’ils aiment faire, comme cultiver des légumes ou produire de l’artisanat. Le temps, c’est le critère clé. Pour se permettre une vie riche en rencontres et en activités, il y a deux solutions : soit on est rentier, soit le logement devient un levier. Quant aux pensionnés, ils revendent leur maison en dur pour s’octroyer un logement plus petit et une vie plus légère, au contact de la nature. » Extrait de l’Interview de Vincent Wattiez – Le Soir du 27 janvier 2016

Le droit au logement est un droit fondamental.

Selon l’Institut Wallon de l’Evaluation de la Prospective et de la Statistique, dans les dix prochaines années, 201.000 nouveaux logements seront nécessaires en Wallonie. Le droit au logement inscrit dans notre constitution depuis 1994 est en conflit avec les grandes tendances de notre société : augmentation des prix des terrains et des logements traditionnels, augmentation de la précarité, carence permanente des logements sociaux au profit des logements publics pour revenus moyens, répression administrative et judiciaire des personnes à la recherche d’autres formes de logement, alourdissement des règlementations, etc.

Après plus de 10 ans d’un plan « HP » visant à réguler l’habitat permanent dans les campings et les zones touristiques, tiraillé entre les règles de l’aménagement du territoire et des questions sociales, force est de constater que les « départs volontaires » n’ont pas fonctionné et que 12.000 personnes habitent encore ces zones dénommées « HP ».

Devant la faiblesse des réponses politiques face à cette situation, il est impératif de recourir à des solutions alternatives en termes d’habitat.

On ne va pas mettre n’importe quoi n’importe où et n’importe comment…

Cette phrase, somme toute simpliste, reflète assez bien les nœuds réglementaires. Les difficultés majeures se situent sur des questions de salubrité et d’aménagement du territoire.

Il est urgent d’adapter le code wallon du logement et de l’habitat durable (CWLHD) et le Code du développement territorial (CoDT).

Si l’article 22 bis du code du logement parle « d’habitations qui ne sont pas des logements » sous forme d’une aide destinée aux personnes en état de précarité, l’article 1er du même code ne considère pas l’habitat léger.

Les normes de salubrité doivent être prescrites pour ce type de logement en tant qu’habitat choisi et des zones urbanistiques spécifiques doivent être déterminées sans pour cela abandonner les plus démunis au risque que se créent des « réserves d’indiens ».

L’article 44§2 du CWLHD définit clairement les zones dites « HP », mais les zones concernant les « habitations qui ne sont pas des logements » restent à fixer et surtout à définir.

Que ce soit à travers un PPA (plan particulier d’aménagement), un RCU (règlement communal d’urbanisme), un schéma de structure, ou encore au plan de secteur, il est nécessaire de réfléchir à la création de zones mixtes d’habitat bénéficiant de permis d’urbanisme adaptés à leurs réalités et leurs spécificités (permis allégés, expérimentations architecturales, utilisation de matériaux de récupération, etc.)

Afin de préserver le caractère économique de l’habitat alternatif, il faut lutter contre toutes formes de spéculation en sortant ces zones d’habitat des lois du marché via l’occupation et la gestion associative du sol à l’image des « Community Land Trust » : foncier mutualisé, bâti protégé de la spéculation et plus-values lors de nouvelles transactions partiellement réaffectées au projet mutuel.

Mettons en place une cellule de réflexion sur la notion d’habitat léger

Incluant les représentants des différents ministères concernés (Logement, Aménagement du territoire et Affaires sociales), les associations concernées telles le RBDL et des habitants, elle devrait mettre en place un cadre juridique et urbanistique pour régulariser l’habitat léger.

La reconnaissance devra s’établir à partir des points suivants :

  • droit de cité aux habitats légers, isolés ou en groupes ;
  • normes de salubrité adaptées ;
  • cadre favorisant l’auto-construction et sa formation ;
  • aide aux communes dans cet aménagement du territoire ;
  • arrêt de la maîtrise des entrées dans les zones d’habitat permanent.

Développons des zones d’habitat alternatif

Il importerait de permettre la création de projets pilotes (à l’image du quartier de la Baraque à Louvain-la-Neuve ou plus récemment de la Commune de Tintigny) suivis par un comité de réflexion associant tous les acteurs concernés.  

Et pendant ce temps, du côté du gouvernement wallon…

« Il faudra attendre les décisions prises par l’ensemble du gouvernement wallon avant de se prononcer sur l’opportunité de modifier le plan de secteur pour y développer ou régulariser le “logement léger”  », précise le cabinet du ministre wallon de l’Aménagement du territoire, Carlo Di Antonio (CDH). Pour espérer être régularisé, l’habitat léger doit être reconnu comme logement à part entière par la législation wallonne. Mais Paul Furlan (PS), ministre en charge du Logement et compétent pour établir les conditions d’acceptabilité du logement léger, ne souhaite pas cette évolution.

On le voit… les 15.000 wallons qui ont fait ce choix d’habitat ne sortiront pas demain de l’illégalité et du royaume de la débrouille.